dimanche 17 juin 2007

Les V1 armes allemandes pour la vengeance

On était fin septembre l944, je crois (officiellement, ce serait le l7 de ce mois-là ?). Je vivais dans l'euphorie de la liberté revenue - encore que sans savoir à qui, pour 8O %, j'en étais redevable - et dans un sentiment trompeur de totale sécurité.

L'occultation des lumières demeurait, à juste titre, obligatoire, puisque la ligne de front n'était guère éloignée de plus de vingt kilomètres: en dépit d'un super-équipement, d'une maîtrise aérienne écrasante, l'armée américaine bourgeoise et peu motivée ne faisait pas le poids en regard de soldats allemands défendant désormais le territoire sacré du Grand Reich.

Aachen résistait avec acharnement, rue par rue, maison par maison...

Ce soir-là, vers 2l heures (il faisait donc nuit noire), je me trouvais aux toilettes, dans le petit cabinet occupant un coin de notre courette, rue de Battice à Petit-Rechain.

Quoiqu'absorbé par cette "grosse affaire" indispensable, j'eus tout à coup mon attention attirée par un bruit inhabituel en provenance du ciel. Inhabituel assurément en tant que "provenant du ciel", puisqu'il rappelait quelque peu celui d'une vieille motocyclette. Sans quitter ma place que - chantait-on jadis - "on ne céderait pas pour un boulet de canon", je parvins, en tendant le bras, à entrebailler la porte du W.C., alors que ce bruit saccadé se rapprochait en augmentant d'intensité.

Ce que je vis me stupéfia. Sur fond de ciel d'encre, à une altitude certainement inférieure à mille mètres, en grondant sinistrement, une flamme se déplaçait rapidement dans la direction Sud-Est/Nord-Ouest.

Je ne fus pas long à réaliser qu'il ne pouvait s'agir d'un avion en détresse puisque "la chose" (en fait le premier... Objet Volant Non Identifié) progressait selon une trajectoire parfaitement rectiligne, d'ailleurs bientôt hors de mon champ de vision.

Le lendemain, on apprit qu'il s'agissait d'un "avion sans pilote" ou "bombe volante" téléguidée; dernière invention du peuple allemand, qui espérait d'elle la victoire finale,...alors que la défaîte était en vue, et que les armées russes apportaient sur son sol - enfin - le châtiment de ses crimes.

Plus tard, on saurait que cet engin appelé "Vl", propulsé par turbine, mis au point dès...l934 (!), s'envolait de rampes de lancement construites dans l'Eifel, fonçait à + ou - 6OO kms/heure jusqu'à sa cible selon un système de pré-réglage automatique des distances, et que...coïncidant avec l'arrêt programmé du moteur, l'extinction de la flamme géante crachée par la tuyère signifiait la chute de la torpille, la Mort pour ceux qui se trouvaient en-dessous...

Une inquiétude profonde étreignit alors les populations. Car jour et nuit, quel que fût le temps, les "Vl" grondaient dans le ciel, sur des trajectoires presqu'invariables: un peu plus vers le Nord ou un peu plus vers l'Ouest, mais toutes au départ du Sud-Est, de l'antre du Diable, et émaillées de détonations plus ou moins proches. En ce temps-là, l'égoïsme - c'est humain - régnait en maître: soit qu'on eût l'occasion de voir "la flamme" rester vivace, soit qu'au seul son on pût juger que l'engin avait déjà...dépassé la maison, on se considérait comme "encore sauvé pour cette fois"; alors que dix ou vingt secondes plus tard, l'arrêt fatidique du moteur et l'explosion y faisant suite apportaient la mort un peu plus loin ! Tout comme quand, s'étant inexplicablement arrêté pendant trois ou quatre secondes,...le moteur redémarrait ensuite.

Chaque jour, les sombres nouvelles qui se colportaient de bouche à oreille faisaient mention d'un "Vl" tombé ici, d'un autre tombé là; à coup sûr par déficience technique puisque tous étaient destinés soit à Liège, soit au port d'Antwerpen. Les canons anti-aériens et les avions de chasse U.S. faisaient de leur mieux pour les abattre au-dessus des Fagnes, et ils y réussissaient parfois. Parfois aussi, leur délicat mécanisme détraqué par la mitraille, les "Vl" dégringolaient un peu partout sur la région de Verviers et le Pays de Herve; il s'en trouva même - trop rares, hélas - qui, dérive fracassée, reprenaient sans complexe le chemin du Grand Reich !
Les semaines passaient, tout comme les "Vl". On vivait avec ce péril mais sans jamais s'y habituer; et si le risque était identique, à tout moment, pour tout un chacun, l'obscurité de la nuit, néanmoins, décuplait l'angoisse: on en était revenus aux nuits éprouvantes, encore si proches, des bombardements aériens massifs sur l'Allemagne, pendant l'occupation.
Arriva décembre l944, avec, à partir du l6, le dernier sursaut de la bête allemande à l'Ouest. Jour et nuit, des convois militaires américains vers ou en provenance de la ligne du front, passaient devant la maison. Des civils notables fuyaient vers l'Ouest. Tout cela sur fond de froid, de neige, et...de "Vl" qui, imperturbablement, continuaient à pétarader tous azimuts, à dégringoler, et à tuer. Ainsi, peu à peu, l'angoisse se muait en épouvante. On situe officiellement au 28 janvier l945, le passage de la dernière "bombe volante", mais mon ultime souvenir marquant se rattachant aux "Vl" date du 24 décembre l944. Alors que la nuit tombait, affamé comme toujours (plus encore à la perspective des succulentes "bouquettes" que ma chère maman était sans doute occupée à préparer...), je regagnais le village à travers les prairies enneigées du hameau de "Husquet" où j'étais allé me livrer au plaisir de la luge. Brusquement, je perçus le bruit caractéristique - hélas si bien connu - d'un "Vl" se rapprochant mais dont je ne pouvais distinguer l'inquiétante silhouette à travers le plafond très bas d'épais nuages gris. Le hasard me faisait passer, à ce moment précis, à une vingtaine de mètres à peine, d'une position américaine de défense anti-aérienne. Au jugé, les servants ouvrirent illico le feu dans la direction présumée de la "bombe volante", tirant de longues rafales rouges des quatre tubes de leur puissante mitrailleuse et faisant voler alentour des douilles par centaines. En vain... Crépuscule, paysage de neige, feu d'artifice de balles traçantes, la Mort bourdonnant au-dessus: un hallucinant spectacle. Une certitude aussi: l'ère des fusées était arrivée. Hélas...!

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