dimanche 17 juin 2007

Un convoi allemand est attaqué route de Battice

En cours depuis plusieurs semaines déjà, la retraite des armées allemandes atteignait, à la fin du mois d'août l944, une intensité considérable. Jour et nuit, passant devant notre maison, le plus souvent vers Battice mais parfois aussi vers Verviers, une gigantesque "cavalcade" de camions, de voitures, de tanks, de charrettes, et de fantassins, encombrait la chaussée. La nuit surtout. Car de jour, ces troupes devenaient de plus en plus fréquemment la cible des avions américains, dont les bases se rapprochaient au rythme de l'avance alliée. Dans une obscurité d'encre (noire), il arrivait que des colonnes se déplaçant en sens opposés, s'enchevêtrassent littéralement au carrefour rue de Dison-rue L.B.Dewez-place Xhovémont. Des gradés vociféraient, des freins crissaient. Puis le "bouchon" fondait, et la circulation reprenait son grondement régulier, au fil des heures.

Une nuit, une section de fantassins vint s'affaler sur notre trottoir. Ma mère s'était levée, intriguée, et, par la fenêtre entrebaillée, elle glanait quelques bribes de dialogues germaniques: les hommes se disaient fourbus, incapables d'encore avancer; leur chef les haranguait de son mieux. L'orgueil leur rendit sans doute quelques forces, car ils se remirent debout, et le sinistre martèlement de leurs bottes cloutées se perdit bientôt dans l’obscurité...

En ce temps-là, ayant pris quatre années d'âge depuis le début de la guerre et en comptant dès lors quinze au total, j'étais plus "badaud" que jamais ! Il faut bien dire que les attractions ne manquaient pas; pas toujours exemptes de danger, d'ailleurs, et mes parents me réprimandaient souvent à cet égard.

La présence sans cesse plus "tangible" des Anglo-Américains ne consistait plus uniquement en de gigantesques armadas de bombardiers lourds qui, plusieurs fois par semaine, vrombissaient au-dessus de nos têtes, en route vers le territoire du Grand Reich allemand.

De plus en plus fréquemment, un chasseur allié solitaire ou un groupe de chasseurs rasait les toits: pour notre plus grand émoi quand, sans aucune confusion possible, on avait pu reconnaître l'étoile blanche à cinq pointes sous le bout de l'aile droite.

Nous n'avions alors plus aucun récepteur de radio; notre SBR, que les Allemands avaient saboté en mai l94O avait été réparé, mais il avait été cédé à mon grand frère lors de son mariage en juillet l943.

Nous apprenions néanmoins que les troupes débarquées en Normandie depuis le 6 juin l944, se rapprochaient.
Les passages de chasseurs américains (britanniques aussi, parfois) se multipliaient.
Manifestement, ils harcelaient les convois allemands en retraite.

Le mercredi 6 septembre 1944 tout au début de l’après-midi, un vrombissement plus fort que de coutume me précipita dehors. A la verticale du carrefour route de Battice-rue Bonvoisin, et, à vrai dire fort bas, un énorme oiseau d'aluminium, un chasseur américain "Lightning P.38" (caractérisé par un double fuselage) évoluait dans le ciel tout bleu. Je me trouvais alors à deux pas de notre porte d'entrée demeurée ouverte; j'eus tout juste le temps de voir l'avion amorcer, en un terrifiant rugissement, un piqué vers le haut de la chaussée de Battice , lorsqu'un soldat allemand sortant je ne sais d'où, l'air affolé, me happa littéralement et me repoussa dans le vestibule, en hurlant de toutes ses forces pour couvrir le vacarme de l'avion U.S.: "In Keller, in Keller !" (Dans la cave, dans la cave !). Accourant pour se rendre compte de ce qui se passait, mes parents furent eux-mêmes repoussés au bout du hall, en direction de la cave, par ce Boche qui, décidément, se faisait bien du souci pour nous... Lui, mes parents et moi, on dévala donc pour remonter presqu'aussitôt: juste le temps d'entendre comme un grondement, quelques secondes. Je fus à nouveau dehors, avec seulement père et mère, cette fois. Le soldat allemand était reparti vers son destin. Quelques véhicules militaires descendaient lentement la chaussée de Battice. Sur l'un d'eux (sorte de camionnette plate), deux soldats étaient étendus, l'uniforme maculé de sang... Présumant qu'ils étaient morts, je fis un commentaire qui m'attira la réprobation de mes parents et une leçon de morale et d'humanité: "Ces hommes ont aussi un père et une mère !" me dirent-ils, une larme au coin de l'oeil. C'était vrai, mais bien d'autres critères l'étaient tout autant, peu connus voire encore inconnus alors ! Quelque six mois plus tard, en effet, on aurait, dans toute son insoutenable horreur, l'atroce et hallucinante révélation des camps de concentration allemands; la longue liste, jamais clôturée, des innombrables crimes commis par des soldats allemands avant et après l'anéantissement par le feu et la mitraille, notamment du village d'Oradour-sur-Glane. Beaucoup plus tard, par le miracle de la télévision, on pourrait se convaincre, face aux rugissements hystériques des foules allemandes d'accord pour sacrifier le beurre...aux canons, de la responsabilité totale d’un peuple tout entier tendu, pour "la revanche", vers le but que leur avait assigné leur Führer bien-aimé » : « Effacer la honte de Versailles » . On saurait quel prix en... vies françaises et autres (!), les mamans et papas allemands avaient, de bon coeur, accepté de payer sans regrets ni remords, pour la joie suprême d'apprendre que leurs fils avaient remonté les Champs-Elysées au pas de l'oie.

Mais que venait-il de se passer ? Le pilote d'un "Lightning P.38" américain en mission, avait, semble-t-il, repéré quelques véhicules allemands se dirigeant vers Battice, et, environ 2OO mètres au-delà du château d'eau, il les avait aussitôt pris sous le feu de ses canons. Le surlendemain, je me risquai à aller inspecter les lieux. Les Allemands avaient évidemment déblayé la chaussée après l'attaque, pour ne pas interrompre leur retraite; mais la carcasse d'un autobus calciné avait été repoussée sur l'accotement, où elle posait sur les essieux. Je la vois encore, quelque 2OO mètres au-delà du château d'eau, côté droit. A la ferme Hurlet, située côté gauche, un mur d'étable, épais de 5O cms, avait été percé comme une écumoire par la puissante artillerie de bord - plus grondement que crépitement - du "Lightning". Si plusieurs attaques aériennes se produisirent alors dans les environs de ma demeure, celle-là fut néanmoins la seule dont j'eus connaissance. Mais c'était bien suffisant pour me faire prendre conscience du terrible danger que nous courions en habitant en bordure d'une trop importante voie de communication, où des colonnes allemandes se traînaient depuis des jours et des jours, quasiment de l'aube à la nuit et de la nuit à l'aube. Certes, notre moral était très haut puisque cette fois, elles roulaient et marchaient non plus "nach Paris" mais ...aus Paris !

Aucun commentaire: